Le mythe

pierick a écrit:

vous allez me dire ce que vous en pensez[/b], la chroniqueuse présente Françoise comme la Kylie Minogue des années 60

Effectivement vu d'ici cette comparaison parait plutôt étrange mais peut-être que cela ne l'est pas pour les allemands. Je n'ai aucune idée de comment FH était perçue outre-Rhin dans les années 60. Suivant les pays elle ne devait pas avoir la même image je suppose.

Elle a tenu. 20 minutes, 9 chansons, 7 rappels. J'avais assisté à ses répétitions, je craignais le pire. Impossible en effet d'être moins conseillée, moins dirigée, moins mise en scène. Elle gémissait “On ne s'occupe pas de moi, on ne me dit jamais rien.“ Des quadragénaires replets, affalés dans les fauteuils de L'Olympia la regardaient, l'œil vague, partir à la dérive sur le plateau et inventer des mimiques dérisoires : ils n'intervenaient jamais. Pour qui a suivi l'entraînement de Sheila, le “shadow-boxing“ de J. Hallyday ou de Cl. François, le dénuement de FH et sa solitude appelaient l'idée d'un assasssinat avec préméditation.
Chargés en principe du soin de sa carrière, ces personnages aux titres pompeux semblaient vouloir, pour d'obscures raisons, la mort de l'idole : livrée pour la 1ère fois au public parisien, FH allait se faire joyeusement massacrer.

Depuis des mois on lui reproche de ne pas savoir se tenir en scène, de rester immobile devant le micro, embarrassée de ses bras, de ses jambes, de son corps. De ne pas présenter ses chansons, de saluer à petits coups de tête et de s'enfuir. Françoise a été sensible à ces critiques et elle a décidé que pour Paris elle devait changer tout cela, forcer sa nature.
Matin et soir elle s'y employait devant la salle vide, sur le grand plateau de l'Olympia.

Elle mit donc du twist autour de ses chansons pour “chauffer“ le public, pour faire “balancer“. Mais elle n'est pas J. Hallyday, elle se déhanche mécaniquement de droite à gauche sur un rythme uniforme à la façon d'une jeune fille bien élevée dans un salon, ou encore elle traverse la scèneà larges pas d'arpenteur. Et puis elle inventa de faire des gestes : petits mouvements du bras, à peine esquissés comme dans les saynètes enfantines. Nous assistions donc, consternés, à ces tentatives pour se mettre au goût du jour et c'est exactement le contraire qu'elle aurait du faire. Mais personne ne lui disait qu'elle se trompait.

Affrontant dans ces conditions les 3 000 personnes de la générale, FH risquait la catastrophe. Elle le savait, on le savait autour d'elle et Mme Hardy, malade d'angoisse préféra attendre chez elle plutôt que de parcourir avec sa fille les stations d'un calvaire en 9 chansons.
Elle est rentrée côté cour, dans une robe noire très sage et tout de suite, elle fut l'héroïne d'un gag involontaire : arrivée devant le micro, elle s'aperçut que ce n'était pas le bon : avec une indifférence souveraine ele repartit vers les coulisses, on la vit discuter avec un machiniste, elle revint, s'en alla encore, revint enfin. Elle riait, un doigt sur le nez, d'un rire espiègle d'enfant. C'était sa manière de s'amuser, et elle avait à ce moment là oublié son trac. La salle rit avec elle, vaincue par tant de naturel, à moitié gagnée déjà. Et c'est le naturel qui la sauva : car elle eut beau “twister“ et ponctuer ses refrains de mimiques de patronnage, le public lui arrachait en pensée cette livrée demprunt et devinait, au-delà même de son incroyable gaucherie, une autre Françoise, poétique et secrète qui eût pu, sans peur, se contenter d'être elle-même. Paradoxalement, ses piètres essais de perfectionnement technique soulignèrent sa parfaite absence de cabotinge et ses maladresses la dévoilèrent comme la moins truqueuse de toutes les idoles. On lui sut gré de se fourvoyer aussi lourdement et chacun avait envie de lui crier : “Ne bouge pas, ne twiste pas, sois belle et chante“.
Ce fut évident lorsque, immobile enfin et hiératique, son visage seul et ses longs cheveux pris dans les projecteurs, penchée et mélancolique, elle chanta “Tous les garçons et les filles“. On lui fit une ovation. C'est la voie à suivre. Sa voie. Et le public parisien, en l'applaudissant, ne s'y est pas trompé : il a senti qu'il avait affaire non pas à une bête de scène, mais à une drôle de jeune fille, qui baigne dans la poésie comme dans son milieu naturel, qui métamorphose immédiatement en poèmes la prose de sa vie, bref, un créateur.…

…Non, Françoise ne court pas le risque d'être un jour une chanteuse déchue : elle a visé quelque chose de plus secret que la gloire et le succès. Son étonnante absence de vanité n'a pas d'autre origine. Elle a ses fans, elle les garde, mais ne fait rien pour les retenir. Elle n'a pas un secrétariat chargé d'entretenir leur flamme, elle n'a ni “public-relation“, ni impresario, ni agent, bref, elle n'est pas comme les autres à la tête d'une énorme machine, d'une usine spécialisée. Et peut-être, au bout du compte, faut-il excuser l'abstention de ceux qui qui devraient la conseiller : ils pressentent que Françoise est impénétrable, qu'ils ne pourront pas faire d'elle ce qu'ils veulent, qu'on ne changera pas ce poète en robot. Alors ils la laissent faire et elle, reste seule. Elle se débrouille seule. Pas mal après tout.

Extraits d'un article paru dans un numéro de ELLE en novembre 1963 signé J-J D

Je trouve cet article très interessant et quand on écoute le “live“ de l'Olympia 63 on ressent en effet la future et géniale Françoise Hardy : quand après “Je pense à lui“ (sur laquelle elle devait twister“) elle enchaîne sur “Le premier bonheur du jour“ chanson magnifique, encore à ce jour.
Pierre.

Merci Pierre pour cet article (et surtout d'avoir pris le temps de le taper ).
Moi aussi j'aime beaucoup cet article que je trouve plutôt comique. Françoise Hardy n'a jamais été une bête de scène c'est le moins qu'on puisse dire. Finalement ce qui est marrant c'est que ce sont plus les gens qui sont mal à l'aise pour elle que FH elle-même qui semble plutôt prendre les choses comme elles viennent sans se préoccuper du reste. Au final, son naturel (et le fait qu'elle ne cherche pas à être ce qu'elle n'est pas) arrive à lui faire remporter tous les suffrages.

très bien cet article que je suis heureux de découvrir; on comprend pourquoi plus tard elle choisit ou on lui suggéra de porter cette fameuse tenue de 16 kg l'obligeant à l'immobilité et à l'unique force de l'interprétation! ce fut sans doute un coup de maître au savoy pour mettre l'accent sur sa beauté et son répertoire!

Oui tout cela est paradoxe.... lorsque je l'ai vu en 65 a l'olympia dans sa tenue Courrèges blanche, elle me parut très a l'aise, vraiment. Elle était non seulement a l'aise, mais surtout magique, souriante, pas du tout figée.

Elle arriva avec le sourire muni de sa , guitare electro accoustique noire, entamant après l'intro des guitares stridentes "je n'attends plus personne" dans une aisance étonnante. Le reste de sa prestation fut a la hauteur, chair de poule, frissons, émotion!!!!!!. Le plus beau souvenir de mon enfance.

pPierre Lefevre a écrit:

Extraits d'un article paru dans un numéro de ELLE en novembre 1963 signé J-J D

Je trouve cet article très interessant et quand on écoute le “live“ de l'Olympia 63 on ressent en effet la future et géniale Françoise Hardy : quand après “Je pense à lui“ (sur laquelle elle devait twister“) elle enchaîne sur “Le premier bonheur du jour“ chanson magnifique, encore à ce jour.
Pierre.

Pierre, la page que tu as bien voulu transcrie pour nous est étonnante de vérité,de justesse.Peux-tu nous dire si tu possèdes les magazines en question d'où tu as extrait ces très beaux articles? On imagine très bien la belle Françoise Hardy à ses débuts,gauche,maladroite,hautaine pendant un récital qui allait décider définitivement de sa carrière.Beaucoup de gens,en effet,s'attendaient à la voir réduite à néant sans trop laisser de traces de son passage dans cette époque yé-yé où tout n'était que frénésie.Ce qui a sauvé notre idole,c'est SA CLASSE,SA GRANDE PERSONNALITE ainsi que cette petite étincelle qui émanait d'elle et que l'on appelle LA GRACE.J'ai déjà vu FH interpréter en live cette sublime chanson dont tu fais référence,Pierre,"LE PREMIER BONHEUR DU JOUR" avec une telle émotion,un tel charisme que j'en ai chialé tellement c'était beau.Elle parvient de façon magique à rentrer dans la chanson pour la vivre intensément.

momo2222 a écrit:

Oui tout cela est paradoxe.... lorsque je l'ai vu en 65 a l'olympia dans sa tenue Courrèges blanche, elle me parut très a l'aise, vraiment. Elle était non seulement a l'aise, mais surtout magique, souriante, pas du tout figée.

Elle arriva avec le sourire muni de sa , guitare electro accoustique noire, entamant après l'intro des guitares stridentes "je n'attends plus personne" dans une aisance étonnante. Le reste de sa prestation fut a la hauteur, chair de poule, frissons, émotion!!!!!!. Le plus beau souvenir de mon enfance.

J'aurais tellement aimé partager aussi,Momo,cet instant magique de sa belle prestation à l'Olympia,pour ressentir aussi tous les frissons dans mon corps et me perdre,le temps de la soirée,dans cet univers mélancolique!

Je possède beaucoup de revues et d'articles consacrés à FH. Il faut feuilleter les magazines correspondant aux dates où on est susceptible de parler d'elle. Le ELLE, justement, a Jean Shrimpton en couverture, mais la date, novembre 63, a bien sur éveillé ma curiosité.
Le témoignage de Maurice prouve qu'en deux ans Françoise avait fait d'énormes progrès et qu'il est bien dommage qu'elle se soit arrêtée en si bon chemin.