https://www.notretemps.com/loisirs/francoise-hardy-fini-aimer,i176016
Après de lourds ennuis de santé, l'idole des sixties avait craint de ne plus jamais pouvoir chanter. Elle signe pourtant son grand retour avec un 28e album.
Notre Temps: Comment est né votre nouvel album, "Personne d’autre"?
Françoise Hardy: J’avais déjà travaillé plusieurs fois avec Erick Benzi, un musicien et producteur de très grand talent. Je l’ai revu pour savoir ce qu’il pensait de "Sleep", une chanson du groupe finlandais Poets of the Fall, qui me transcendait. À cause de mon état physique, je ne pensais pas encore vraiment à un album. Mais, à la suite de cette reprise de contact, sans que je lui aie demandé quoi que ce soit, Erick m’a envoyé des mélodies inédites qui m’ont plu, et tout s’est enchaîné assez vite, presque à mon insu!
NT: Et vous avez surmonté toutes les difficultés...
FH: Enregistrer un album est une énorme source de problèmes et d’angoisse. De plus, je suis tombée malade au milieu des séances de voix et ça a été très éprouvant. Heureusement, Erick est un ange de patience et de gentillesse. Mais, aujourd’hui, je sens le contrecoup: mine de rien, j’ai été active sans relâche depuis une bonne année et la promotion est quelque chose de très stressant pour moi.
NT: Qu’est-ce qui vous apaise?
FH: L’écriture. C’est mon principal exutoire. Je ressens un grand bonheur quand je termine un texte qui me semble à la hauteur de la mélodie qui l’a inspiré. Un bonheur à la mesure de mon angoisse devant la page blanche... Avec le temps, je tourne toujours autour du même pot et j’ai écrit tant de textes qu’il m’est de plus en plus difficile de me renouveler.
NT: Vous n’êtes jamais tout à fait en paix: d’où vient votre sentiment d’insécurité?
FH: De l’enfance... Ma mère nous a données, à ma sœur et moi, beaucoup d’amour et un très bon exemple, mais elle vivait seule et ne voyait personne. Une enfance solitaire où l’on ne peut se focaliser que sur un être est handicapante sur plusieurs plans - langage, rapports sociaux, entre autres - et elle favorise la peur terrible de perdre cette personne qui représente tout pour soi. J’ai toujours eu une fâcheuse tendance à craindre le pire dès que je suis sans nouvelles de mes proches.
NT: En tant que femme et artiste, comment vivez-vous le débat actuel sur le harcèlement?
FH: Le débat est trop souvent binaire: les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Il vaudrait mieux privilégier une vision globale et chercher à connaître les raisons profondes pour lesquelles un individu a un comportement inacceptable. Personnellement, dans ma carrière, je n’en ai jamais subi. Petite fille, j’ai connu deux attentats à la pudeur: j’en avais parlé à ma mère tellement j’étais choquée et effrayée. L’enfant sent d’instinct ce qui est malsain et cet instinct est resté très fort chez moi.
NT: Quelle mère êtes-vous pour Thomas?
FH: C’est à lui qu’il faudrait le demander... Aucune maman n’est parfaite mais ce qui compte le plus quand on a un enfant, c’est de l’avoir désiré pour de bonnes raisons et de l’aimer pour lui-même plus que pour soi, ainsi que de ne pas lui donner un trop mauvais exemple! Sur cette question des relations entre hommes et femmes, l’essentiel de l’éducation vient de la façon dont les parents se comportent l’un vis-à-vis de l’autre et avec leurs enfants. J’ai appris avec le temps que sans discernement, l’amour ne vaut pas grand-chose. Et comme on ne peut donner que ce qu’on a reçu, savoir aimer est la plupart du temps un apprentissage long et difficile. En ce qui me concerne, je ne crois pas avoir terminé le mien!
À lire aussi: L'île de Batz de Philippe Torreton
NT: Êtes-vous toujours proche de son père, Jacques Dutronc?
FH: Bien que nous vivions séparément, cette relation continue de compter plus que les autres. Elle repose autant sur une très grande tendresse - apparemment réciproque! -, que sur le fait d’avoir vécu nos plus belles années ensemble.
NT: Vous connaissiez Johnny Hallyday depuis l’enfance. Quel est votre plus beau souvenir avec lui?
FH: Nous étions nés dans la même clinique à quelques mois de distance et il a vécu son enfance et son adolescence à quelques mètres de moi, dans le neuvième arrondissement de Paris. Jacques habitait tout près aussi. Je l’admirais et l’aimais beaucoup. Mon plus grand souvenir est celui de son concert à Bercy mis en scène par Michel Berger en 1987. C’était si génial que j’y avais traîné de force Jacques et Thomas qui avait 14 ans à l’époque.
NT: Croyez-vous que l’on puisse vivre une passion amoureuse à tout âge?
FH: Peut-être... Mais je pense qu’à partir d’un certain âge, qui varie d’une personne à l’autre, il vaut mieux tirer un trait sur la vie sexuelle. La nature nous y invite bon gré mal gré d’ailleurs.
NT: Vous êtes directe!
FH: À moins de devoir mentir charitablement, ce à quoi il est parfois impératif de se plier, le mensonge est une forme de malhonnêteté qui ne mène à rien et je n’aime pas faire aux autres ce que je n’aimerais pas qu’ils me fassent. Mais le plus important est de ne pas se mentir à soi-même et comme ce travers est la plupart du temps inconscient, je ne crois pas que j’y échappe.
NT: Vous avez des regrets?
FH: Les regrets sont stériles, sauf quand ils permettent de prendre conscience de nos mauvais comportements au point de faire l’effort de ne plus les reproduire.
NT: Quelle est votre plus grande fierté?
FH: Thomas bien sûr! Sur le plan professionnel, plusieurs chansons et enregistrements.
NT: Lesquels par exemple?
FH: Pour n’en citer que quelques-unes, il y aurait de toute façon "Doigts" (1971), et pour le reste: "Dix heures en été" (1996), "Le Danger" (1995), "Tant de belles choses" (2004), "La Folie ordinaire" (2004), "Grand Hôtel" (2004), "Mal au cœur" (2012), "Personne d’autre" et "Un seul geste" (2018). On est fier d’un enregistrement lorsque la voix et la réalisation musicale amènent la magie espérée à une belle mélodie et au texte qu’elle a inspirés. La magie, c’est la clé!
NT: Que pouvons-nous vous souhaiter?
FH: Une de mes amies dirait "être une vieille dame indigne". Être une vieille dame digne, ce n’est pas mal non plus!
• Douze chansons et tant de belles choses
La chanteuse, qui avait promis qu’on ne l’y prendrait plus, revient avec un nouvel album empreint de la douceur et de la mélancolie qu’on lui connaît si bien. Au gré des 12 titres qui le composent - elle a écrit les paroles de 8 d’entre eux - Françoise Hardy livre, de sa voix fragile, ses réflexions sur le passage du temps, l’amour, la mort. Au détour d’une chanson, on croise Jacques Dutronc, à qui le titre "Personne d’autre" est dédié mais aussi Michel Berger ("Seras-tu là?", dont il a écrit les paroles) ou le groupe de rock finlandais Poets of the Fall dont elle adapte une chanson ("Dors mon ange"). "Personne d’autre", Warner / Parlophone, 16,99€.