L’amour fou selon Françoise Hardy
COLJON,THIERRY
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Samedi 27 octobre 2012
MUSIQUE Premier roman et nouvel album pour celle qui fête ses cinquante ans de chansons
PARIS
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
Françoise, d’habitude, préfère nous recevoir chez elle. Mais comme ce jour est celui de sa femme de ménage, on se retrouve dans le bureau de Marco, chez EMI. Françoise arrive le teint non pas pâle mais livide, anémié, blafard… Elle est épuisée par un récent déménagement et une santé visiblement fragile.
Un livre et un disque… Vous ne vous ménagez pas…
Le livre, je l’ai commencé il y a trente ans. Je revenais régulièrement dessus pour améliorer la forme non-stop. Au départ, je ne voulais pas le publier. Ce qui m’a déterminée à le faire, c’est d’abord le harcèlement de mon éditeur. Ensuite, Jean-Marie Périer, à qui j’avais fait lire deux chapitres, a été tellement dithyrambique que ça a levé mes inhibitions. Et puis enfin, comme mon avant-dernier album n’avait pas très bien marché, je me disais qu’il n’y avait aucune raison qu’un nouvel album marche mieux. Je me suis donc dit : je vais publier un livre et je vais l’appeler pareil. Comme ça, ça fera une accroche supplémentaire. Et puis EMI m’avait dit : c’est ton cinquantenaire, il faut faire quelque chose. Voilà qui justifiait la publication de ce récit très abstrait.
Votre roman est très intime même si l’homme dont la narratrice tombe follement amoureuse se nomme X…
C’est la synthèse de diverses relations sentimentales. Les gens n’en connaissent qu’une ou deux. X, c’est plusieurs personnes. Et l’histoire, c’est plusieurs en une. Il y a des éléments biographiques et d’autres plus fantasmés.
L’amour fou est également, du coup, le thème principal du disque…
Le livre est l’histoire à répétition de ma vie sentimentale. J’y ai puisé l’inspiration pas seulement pour ce dernier album mais pour tous mes textes. Depuis le début. Mais rien n’a été prémédité.
Les protagonistes de votre livre se torturent sans arrêt. Elle se met minable pour un homme qui semble beau et bourré de charme mais sans plus…
J’espère avoir montré à quel point les attitudes inadéquates, les demandes excessives ne peuvent que faire peur à l’autre. Je ne pourrais pas être attirée par quelqu’un sûr de lui. Ça ne m’est jamais arrivé. Si l’autre, qui ne s’aime pas, tombe sur quelqu’un attiré par lui, avec une demande est trop forte, c’est insupportable. L’autre, d’instinct, perçoit cette demande. Pour quelqu’un qui a une fragilité de son moi, une demande trop forte le fait fuir. Toute l’histoire tourne autour de ça. Il n’y a rien de plus séduisant que des hommes qui restent insaisissables, qui paraissent et disparaissent. Le désir prend sa source dans la distance. Sans distance, il n’y a plus de désir. Un homme mystérieux est toujours plus attirant.
Certaines sont aussi attirées par des hommes qui profitent d’elles au point de les abuser, de les battre…
On ne choisit pas. C’est l’inconscient qui choisit pour vous. Si vous avez une problématique de masochisme, vous allez être attirée par les escrocs, les sadiques, qui vous tueront physiquement ou avec des mots… Il est très difficile de se défaire d’une structure remontant souvent à l’enfance. La masochiste, par son attitude, peut provoquer le sadisme chez l’autre. C’est lié. J’ai eu affaire à des personnes comme ça. Au point de vouloir leur taper dessus.
Apprend-on de ses erreurs ?
Oui, quand même. C’est ça le sens et le but de la vie. Il n’y a rien de plus stupide que de faire porter par d’autres le poids de vos souffrances. C’est la relation qu’il faut mettre en cause. C’est ce qui m’a toujours énervée avec les articles sur les femmes battues, qui ne mettent en cause que les hommes épouvantables. Il faut voir les choses dans leur globalité. c’est la dynamique de la relation qu’il faut étudier.
Beaucoup, et pas que des féministes, n’ont toujours pas compris comment une Anne Sinclair a pu avoir autant de patience et d’abnégation…
Je parle de ça dans la chanson « Soie et fourrures ». Ça vaut pour moi comme pour Anne Sinclair. Quand on ne peut pas se passer de quelqu’un, on essaie de jouer le jeu et on préfère toutes les souffrances que rien. C’est ça l’amour. La seule chose qui puisse vous faire partir, c’est quand vous n’aimez plus ou quand on acquiert la conviction que l’autre n’éprouve plus rien pour vous.
Mais quand Jane (Birkin) a quitté Serge (Gainsbourg), ce n’est pas qu’elle ne l’aimait plus mais parce que la vie avec lui était devenue infernale, non ?
Elle avait quand même rencontré Doillon qui était très séduisant. Ça aide. Je ne sais pas si elle aurait pu quitter Serge si elle n’avait pas rencontré Doillon. Je sais bien que la vie était insupportable avec lui. Arrive aussi un moment où l’amour se transforme en grande affection, en grande amitié, en grande tendresse, en grande compassion. On souffre avec. Il reste toujours quelque chose.
C’est ce qui vous liera éternellement à Jacques (Dutronc) ?
Oui. Je l’ai encore vu cet été dans un vieux film. Il était à tomber à la renverse. Ça me fait toujours le même effet. Le charme, ce n’est pas que le physique, c’est ce qu’il dégage.
L’intégralité de l’interview est sur lesoir.be