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L'interview des internautes : Françoise Hardy
[Interview]
FrançoiseHardy
Tout au long du mois de juin, l'oreille aimable des inrocks.com a recueilli vos questions pour les soumettre à Françoise Hardy, première invitée d'un nouveau rendez-vous convivial et informel : l'interview des internautes. Et c'est avec sa franchise coutumière qu'elle s'est saisie de sa plus belle cyber plume pour y répondre personnellement et évoquer ses sons et ses couleurs...
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Kamal : Lors d'une séance de dédicaces, le 15 juin dernier, je vous ai offert une cassette contenant une chanson qui vous est dédiée. Pouvez-vous me dire votre sentiment sur cette chanson ? Recevez-vous souvent de tels cadeaux ?
Françoise Hardy : Je viens seulement d'écouter votre chanson pour pouvoir vous répondre : je la trouve aussi touchante qu'amusante. Bravo. Je ne reçois pas souvent de chansons qui me sont dédiées. Par contre, je reçois régulièrement des cassettes ou des CD de débutants, d'amateurs en quête d'un avis. Cela m'accable dans la mesure où je n'ai absolument pas le temps d'écouter tout ce qu'on a la gentillesse de m'envoyer, ni de répondre à chacun. L'idée de décevoir l'attente, pire encore, l'espoir de personnes qui placent leur confiance en moi, m'est très pénible. Par ailleurs, presque tout ce qu'on m'envoie est peu original, assez scolaire et si, d'une part, je n'aime pas raconter des salades même pour faire plaisir, d'autre part, je n'ai pas envie de décourager, encore moins de blesser qui que ce soit. Beaucoup d'artistes intéressants ont fait des premières chansons pas terribles - sans parler des miennes !
Yves Nonciaux : J'ai été frappé par la ferveur de votre public qui a fait de cet événement promotionnel un moment d'échange et de grâce : qu'avez-vous ressenti ?
FH : Il me semble que quand on apprécie les chansons de quelqu'un, c'est que l'on est plus ou moins sujet aux mêmes inhibitions, au même inconfort intérieur, aux mêmes tourments. Cela m'a beaucoup touchée de constater cela de visu.
Pierre Lefevre : Vous dépréciez toujours votre voix, déclarez ne pas être chanteuse... Qu'avez-vous à dire à ceux qui trouvent votre timbre de voix admirable, les anonymes et des artistes comme Perry Blake et Jay-Jay Johanson ? Est-ce un attribut du Capricorne de se déprécier ou devancez-vous les critiques comme pour les désamorcer ?
FH : C'est surtout un attribut saturnien (je suis née à la culmination de Saturne et on peut être Capricorne sans être Saturnien) de douter toujours de soi, mais aussi de mettre la barre haut et d'être sensibilisé à la vérité des faits. Le Capricorne et, pire encore, la Vierge - que j'ai à l'ascendant - n'arrangent rien ! Je suis en train de lire la vie de l'immense pianiste Clara Haskil et bien qu'elle ait eu une existence très difficile, ça me fait rire parce qu'elle passait son temps à se déprécier. C'était une Capricorne et j'aimerais bien avoir son heure de naissance pour vérifier qu'elle était Saturnienne !...
Patrice Lecot : Pourquoi avoir piqué les lunettes de Jacques sur la pochette de Duck's blues sampler ?
FH : C'était une idée de Jean-Marie (Périer) et de Virgin, et c'était mes lunettes ! C'est fou comme une paire de lunettes noires peut ressembler à une autre... N'oubliez pas que celles de Jacques sont des lunettes de vue : il est très myope, ce serait donc dangereux pour mon équilibre, plutôt instable, que je les lui pique (je plaisante, comme vous).
Dimitri Bertrand : Comment faites-vous pour rester toujours aussi jeune ?
FH : Je me sens très jeune dans ma tête, mais hélas plus dans mon corps ni sur mon visage. Je vous dirai quand même, qu'à cause d'une pathologie digestive congénitale entraînant des problèmes de peau, je suis depuis des années un régime alimentaire à base de céréales complètes, légumes, grillades, poisson, fromage, en veillant à ne jamais mélanger les protéines et les céréales. Je limite également le plus possible les graisses animales et privilégie les huiles végétales de première pression à froid ou les margarines non hydrogénées. Je vous conseille ce régime, car dans l'absolu, il est bon pour la forme de tout le monde. Je pratique aussi la gymnastique de Françoise Mézières. Si ça vous intéresse, procurez-vous les livres de Thérèse Bertherat sur l'antigymnastique : Le Corps a ses raisons, Le Courrier du corps, Le Repaire du tigre, etc.
Le pourquoi du comment des reprises
Erwan Keranflec'h : Vous m'avez subjugué en vous mettant en Danger, il y a quatre ans. Je vous ai attendu avec une secrète jubilation les semaines précédant la sortie de Clair-obscur tout en écoutant La vérité des choses. Mais je regrette votre prise de risque précédente, avec ce son plus dur et ces paroles plus écorchées. J'espérais que vous capitaliseriez sur ce virage amorcé. J'apprends une fois encore qu'il est assez crétin de fantasmer la nouvelle galette sonore de ses pops icônes. Voilà mes mesquines petites remarques sans doute agaçantes sur un disque qui, de toute manière, deviendra, je le sais, un vieux copain de dimanche matin pluvieux avec petit-déjeuner copieux et buée sur les vitres. Pourquoi avoir enchaîné sur un album de reprises alors qu'Etienne Daho vous avait, semble-t-il, composé des mélodies originales ?
FH : Je n'étais pas dans le même état d'esprit en 1999 qu'en 1994-95, années assez noires sur le plan personnel dont les textes du Danger donnent une idée. Ensuite, j'aurais aimé faire un autre album dans la même veine que Le Danger. Mais :
1. Je me suis toujours efforcée de ne pas faire 2 albums de suite dans le même style.
2. L'échec commercial du Danger m'empêchait de proposer ou d'imposer la même équipe à ma maison de disques.
3. Je ne suis pas sûre qu'Alain Lubrano, assez déstabilisé par l'échec du Danger, aurait été partant pour refaire un album ensemble !
4. J'avais besoin d'aller vers des choses plus tendres, plus légères, plus mélodiques ne serait-ce que parce qu'elles me sont plus naturelles à chanter et me procurent davantage de plaisir : c'était vraiment jubilatoire de chanter Puisque vous partez en voyage avec Jacques ou I'll be seeing you avec Iggy.
5. Si je me suis tournée vers certaines chansons du passé, c'est tout à la fois parce que je les aime, qu'elles me touchent au plus profond, qu'elles ne sont pas très connues en France et que j'avais le secret espoir de les faire découvrir à quelques-uns et parce que, justement, aucune des mélodies apportées par Etienne ne m'inspirait - ce qui ne signifie pas qu'elles étaient mauvaises.
Erwan Keranflec'h : Craigniez-vous de livrer un album qui porte trop son empreinte ?
FH : Travailler avec un musicien au style très personnel, fait redouter plus ou moins de livrer un album qui " porte trop son empreinte ", comme vous dites. Je me souviens que quand Bambou m'a confié que Serge avait exprimé ses regrets que je ne lui aie jamais demandé de me composer tout un album, d'abord j'ai été très étonnée. Ensuite, rétrospectivement, je me suis consolée en pensant qu'un album avec lui aurait eu une couleur sans doute trop proche de ceux de Jane, d'Isabelle Adjani ou de Charlotte, tant son empreinte était aussi forte que sublime. En ce qui concerne Etienne, s'il m'avait apporté la mélodie de La baie ou d'Ouverture, cette crainte ne m'aurait en rien retenue car la seule chose qui compte pour moi, c'est la qualité mélodique d'un morceau.
Jérôme Frayssinet : Pourquoi reprendre les chansons écrites pour d'autres ? Sur Clair-obscur, La pleine lune était initialement enregistrée par Jane Birkin (A la légère, 1998), c'est également le cas pour En résumé en conclusion (Jean-Pierre Mader) ou Fais-moi une place (Julien Clerc). Est-ce parce que leurs versions ne vous conviennent pas, que vous regrettez de ne pas avoir gardé ces textes pour vous, ou parce que vous avez plaisir à les interpréter à votre façon ?
FH : Je n'étais pas satisfaite de la réalisation des versions originales de La pleine lune ni D'en résumé en conclusion. J'avais envie de faire exister ces chansons dans une version plus proche de l'esprit dans lequel elles avaient été composées et maquettées. Pour Fais-moi une place et Clair-Obscur c'est la raison que vous dites : j'aime beaucoup ces 2 chansons. En ce qui concerne Clair-Obscur j'avais l'impression que personne ne la connaissait, donc envie de la faire connaître un peu plus.
Yves Nonciaux : Beaucoup de vos chansons de 1968 à 1973, période foisonnante, sont introuvables aujourd'hui : La terre, Träume, reprise dans le dernier film de François Ozon tout l'album orange en anglais, le duo sympa avec Dewaere, l'album One, nine, seven, zero pour le marché anglais... Pourquoi ne pas faire connaître à votre jeune public ces merveilles ?
FH : Virgin s'en occupe : il est question de rééditer ces disques à la rentrée.
Sons et couleurs
Deolinda Vilhena : Un bonjour brésilien ! J'adore Clair-Obscur que j'ai acheté de passage à Paris. Depuis lors, il est toujours avec moi. Vous sentez-vous des envies avec des musiciens de mon pays ?
FH : Ma meilleure amie, Léna, est brésilienne et vit à Rio, mais je ne connais pas trop la musique brésilienne en dehors de Gilberto, Jobim, Moraes et quelques autres très grands noms. Je me sens - malheureusement - trop loin des musiciens brésiliens, surdoués rythmiquement et harmoniquement. Je suis plus à l'aise avec une musique binaire et basique comme le rock. Cela ne m'empêche pas, en tant qu'auditrice, d'apprécier les mélodies sophistiquées, et même d'adorer certaines chansons brésiliennes, mais, globalement, elles sont trop difficiles pour la chanteuse et la musicienne limitée que je suis.
Florence Varin : Quels chanteurs/auteurs, selon vous, expriment aujourd'hui de vrais sentiments ?
FH : La plupart des chanteurs expriment de vrais sentiments, simplement ils ne sont pas au même niveau d'évolution et n'ont pas le même talent. Je suis généralement plus touchée par les Anglais que par les Français. Thom Yorke, en voilà un qui exprime de vrais sentiments. Mais Badly Drawn Boy que je viens de découvrir aussi : ses musiques et ses textes sont d'une irrésistible simplicité sans être banals pour autant. Et il y en a tellement d'autres ! En vous répondant, j'écoute en boucle Coldplay. Il y a aussi Emiliana Torrini qui compose de très bonnes chansons et a l'air d'un ange tombé du ciel avec toutes les étoiles qui brillent dans ses yeux... Sans parler d'une de mes idoles P.J. Harvey dont le dernier album qui remonte à 2/3 ans est un pur chef d'œuvre. Perry Blake est génial. Il y a l'embarras du choix. Ce qui importe, me semble-t-il, ce n'est pas de laisser une trace, c'est de faire de son mieux : "L'échec a autant ou aussi peu d'importance que le succès, puisque seul est valable le travail. Peu importe que la branche casse au moment où vous pensez la saisir, car seuls comptent les pas que vous aurez faits pour arriver à elle."
Charles : Vous sentez-vous proche d'une chanteuse telle que Mylène Farmer, par le très grand perfectionnisme qui guide la sortie de chaque album, le goût des mots et la mélancolie des textes, la voix aérienne, les apparitions rarissimes... Si le rapprochement (qui, pour moi, est très positif) vous paraît incongru, ignorez tout bonnement la question !...
FH : Je ne me sens pas très proche de Mylène Farmer. D'abord parce que je trouve que son écriture manque de simplicité - je préfère de loin celle de Zazie -, ensuite parce qu'elle a toujours joué la carte un tantinet hystéro de la provocation sexuelle, carte qui m'est évidemment étrangère. Mais j'apprécie la qualité visuelle extraordinaire de ses clips, l'ambiance musicale de ses albums ainsi que certaines chansons. Nous avons le signe de la Vierge en commun : c'est son signe solaire et c'est mon signe ascendant. Il prédispose en effet à beaucoup d'anxiété, de perfectionnisme, de contrôle et fait généralement préférer l'ombre à la lumière.
Pierre Lefevre : Ne faisant plus de scène, n'aimant que très modérément la promotion, les clips devraient être le moyen idéal pour présenter vos chansons. Or vous ne me semblez pas encore avoir trouvé le (la) metteur en scène idéal(e). Choisissez-vous seule ?
FH : Le seul de mes clips dont je sois contente à 100% est celui réalisé par Lewis Furey sur Si ça fait mal avec Alain Lubrano. Cette affaire de clip est un réel problème : ça coûte une fortune et la déception est presque toujours au bout. Au final, on se demande s'il ne vaudrait mieux pas s'en passer.
Stéphane Ollivier
07 juil. 2000
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