http://www.nicematin.com/musique/interview-francoise-hardy-je-suis-allee-a-des-auditions-pour-que-quelquun-me-dise-ce-nest-pas-pour-vous-240041?t=ZDk2ZTA5NTg2ZGE5NzBiNTBhNzkxZmUzM2U0YTFmNjRfMTUyOTY2MjA4OTkyMF8yNDAwNDE%3D&tp=viewpay
Après son combat contre la maladie, Françoise Hardy n’imaginait pas rechanter un jour. Elle a surpris tout le monde, elle la première, en sortant "Personne d’autre". Un joli vingt-quatrième album qui parle d’amour et du temps qui passe qu'elle vous présente ici. Retrouvez la aussi en une de notre magazine Week-End, ce vendredi en kiosque.
Dans Un cadeau du ciel, son récit paru en 2016, elle racontait sans ménagement son combat contre la maladie.
Une descente aux enfers suivie d'une résurrection, que Françoise Hardy n'imaginait pas si miraculeuse.
Car avec l'énergie, revenue petit à petit, le souffle et la voix ont suivi. L'inspiration, aussi.
A 74 ans, l'idole des sixties a fait un retour inattendu avec Personne d'autre, un vingt-quatrième album apaisé. Malgré les thèmes qu'il aborde.
Ces chansons, qu'elle signe ou qu'on lui a envoyées (à l'image du premier extrait, Le Large, écrit et composé par La Grande Sophie), et réalisées par Erick Benzi, un fidèle de Goldman, évoquent le temps qui passe, la mort qui rôde ou les amours malheureuses.
Elle y reprend Seras-tu là, aussi, de Michel Berger.
La mélancolie, toujours, sa muse depuis ses débuts en 1962. Françoise Hardy chantait alors Tous les garçons et les filles et ne pensait pas plaire.
Cinquante-six ans plus tard, ce n'est pas les déclarations d'amour de Mick Jagger ou de Bob Dylan, ni les tenues qu'imaginèrent pour elle André Courrèges ou Paco Rabanne qui lui auraient fait changer d'avis.
Presque surprise par l'intérêt que suscite ce nouvel album, elle est ravie d'en parler.
Fragile, marquée bien sûr, élégante toujours, en veste souple et foulard léger, Françoise Hardy nous reçoit dans le salon d'un hôtel parisien.
Le regard doux derrière des verres légèrement fumés.
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Vous avez pensé arrêter la chanson plusieurs fois...
Je l'ai dit une fois, en 1988. Ensuite, quand on m'a posé la question au moment de mon album en 2012 (L'Amour fou), j'en étais tellement contente que je ne pensais pas réussir à faire mieux.
J'ai donc pu dire qu'il vaudrait mieux arrêter là, mais rien d'officiel.
Et, quand je suis sortie de l'hôpital en 2015, j'avais des problèmes vocaux. C'était impossible de chanter.
J'ai même dû refuser de participer à une compilation réalisée par Michel Legrand, j'en étais désolée.
Vous ne pouvez pas vous passer de la chanson?
Ah non! Je peux me passer de chanter mais pas de chansons.
Je suis toujours surexcitée quand j'entends quelque chose de formidable.
J'ai besoin de ça, je suis toujours à l'affût de ce qui me transporte.
"Pour répondre à certaines questions, il faudrait me laisser quelques heures, voire quelques jours de réflexion"
Vous n'aimez pas être regardée quand vous enregistrez, vous avez arrêté la scène en 1968, l'écriture elle-même parfois vous angoisse...
Avec l'écriture –moins avec un texte de chanson, car la place que l'on a est tellement réduite qu'on sait quand c'est bien ou pas– d'un mail, un livre, on est livré à soi-même.
Et moi, je ne suis pas quelqu'un du premier jet...
Il faut que je relise en permanence.
C'est le cas, je crois, de ceux qui ont une personnalité "secondaire", avec une espèce de lenteur.
Pour répondre à certaines questions, il faudrait me laisser quelques heures, voire quelques jours de réflexion. [Rires]
Mais avec tout ça, pourquoi avoir choisi cette carrière, cette exposition?
Parce qu'il n'y avait que ça qui m'intéressait!
J'ai tourné un bouton de ma radio, j'ai entendu ce qui se faisait à la fin des années cinquante dans les pays anglo-saxons, et ça a été un coup de foudre.
Je ne pensais pas chanter au départ, j'ai d'abord pensé travailler dans l'édition musicale, dans une radio, être programmatrice, parce que je suis obsessionnelle.
Quand j'aime quelque chose, j'ai envie que tout le monde soit enthousiasmé.
C'est ce qui s'est passé avec la chanson du groupe finlandais Poets Of The Fall, dont j'ai fait l'adaptation dans cet album, je l'ai fait écouter à tout le monde.
Maintenant, je me dis: "quelle chance que le destin en ait décidé autrement". Programmateur, aujourd'hui, il y a de quoi devenir fou!
Chanteur aussi d’ailleurs. Une sortie en chasse une autre.
Vous n'auriez pas tenté votre chance aujourd'hui?
Je crois surtout que ça n'aurait pas marché.
Dans les années soixante, quand j'ai découvert que je savais faire des mélodies de rien du tout, avec quelques accords, j'ai eu le rêve d'enregistrer un album.
Je suis allée à des auditions mais, plutôt pour que quelqu'un du métier me dise: "ce n'est pas pour vous"!
Aujourd'hui, avec l'avènement des émissions de chanson-réalité, ce qui intéresse les producteurs, ce sont ceux qui ont une grande voix, moi je n'ai jamais eu une grande voix!
Si j'ai arrêté la scène c'était à cause de ça, et parce que j'étais très émotive.
J'ai eu des trous de mémoire qui m'ont tétanisée.
Toute ma vie, j'ai fait des cauchemars dans lesquels il fallait que j'aille sur scène alors que je ne me rappelais plus un mot de la chanson.
Françoise Hardy a arrêté les concerts en 1968. Photo Benoît Peverelli
En 1988, vous vouliez arrêter parce que vous ne vouliez plus faire de promo. Ca a changé, visiblement?
J'étais plus que mal à l'aise, et je le suis toujours!
J'ai fait l'émission de Laurent Ruquier par exemple, et ça n'a pas été facile.
Pour mon livre déjà, j'y avais perdu tous mes moyens. La chroniqueuse Vanessa Burggraf m'avait déglinguée...
Quand je sors d'émissions comme ça, les bonnes répliques m'arrivent après.
Il paraît que vous ne pouvez pas écrire sans mélodie?
C'est vrai, ce qui m'intéresse, c'est la mélodie.
Vous pouvez être musicien et ne pas avoir le sens de la mélodie.
Moi, je crois que je l'ai toujours eu.
Quand on me demande, parfois, comment j'explique le fait d'être encore là, je crois qu'il y a deux choses.
Ca, il me semble que c'est mon atout.
Et une autre, pour laquelle je n'ai aucun mérite: le physique. J'ai été aidée par ça, même si quand j'avais dix-sept, dix-huit ans, j'en étais totalement inconsciente.
Je venais d'un milieu simple, ma mère était seule pour élever ses deux filles, j'avais de vilains habits qu'il fallait user jusqu'à la corde...
Quand je revois les photos, oh la la! Heureusement, je suis tombée sur Jean-Marie Périer!
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"La mort est une forme de séparation, que je redoute évidemment mais, en même temps, c'est la libération de l'esprit"
Cet album, votre vingt-quatrième, est lumineux, apaisé, malgré les thèmes abordés, comme celui de la mort.
Je suis contente que vous l'ayez ressenti.
La mort, c'est surtout la chanson de La Grande Sophie, Le Large, qui l'aborde.
J'ai l'âge que j'ai...
Quand cela s'est su, que je travaillais sur un album, j'ai reçu pas mal de chansons, inchantables pour la plupart, car les textes ne tenaient pas compte de ça.
Celle-là m'a bluffée.
Vous aviez déjà abordé ce thème...
Oui, en 2004, dans Tant de belles choses.
On venait de me diagnostiquer ce lymphome.
Je fêtais mon anniversaire avec une amie, née le 17 janvier comme moi, il y avait Thomas (son fils), son père (Jacques Dutronc).
Thomas s'est levé de table et n'est pas revenu. Mon amie m'a dit: "c'est parce qu'il ne veut pas qu'on le voit pleurer", ça m'a bouleversée.
Dès le lendemain, j'avais cette magnifique mélodie, apportée par Alain Lubrano qui, hélas n'est plus parmi nous, et Pascale Daniel, et je l'ai utilisée pour m'adresser à Thomas, pour lui parler de la mort et lui dire ce que c'était pour moi.
Une forme de séparation, que je redoute évidemment mais, en même temps, la libération de l'esprit.
Notre esprit ne vieillit pas, il rajeunirait plutôt.
Cet album parle d'amour aussi?
La chanson pour laquelle j'ai beaucoup pensé à mon histoire avec Jacques, c'est Personne d'autre, qui est un résumé de ce qu'on a vécu.
Des journalistes ont tout mélangé et écrit que Train spécial était adressée à Jacques...
C'est tellement loin de ma réalité, comment pourrais-je lui dire, ou dire à qui que ce soit: "monte avec moi dans un train pour l'infini"?
Et la chanson Personne d'autre donne son titre à l'album...
J'adore cette chanson.
La mélodie de Pascale Daniel m'envoûte.
J'ai utilisé ce qu'elle chantait en anglais, "subtle are the signs"...
Ca m'a donné une direction et ça m'a fait penser à notre histoire avec Jacques.
Il y a quelque temps, il m'a envoyé un sms pour me dire "bravo" pour tout ça. Je lui ai répondu: "c'est surréaliste", il m'a dit: "non c'est normal, l'album est très beau".
"Emmanuel Macron, au moins, il n'est pas englué dans des idéologies politiques"
Ce qui est beau est forcément triste?
Oh oui. Une des dernières chansons musclées que j'ai adorée, par exemple, c'est Lost On You de LP.
Et ce qu'elle y raconte est triste, il y a une mélancolie.
Les plus beaux thèmes mélodiques sont en général lents ou mediums.
C'est la sublimation qui est belle.
D'où vous vient cette mélancolie?
Je ne saurais pas vous dire.
Mais je me rends compte que les films qui me font de l'effet, aussi, sont ceux devant lesquels j'ai la larme à l'œil.
Récemment, en voyant Ce qui nous lie de Cédric Klapisch, j'ai été très émue.
Vous avez toujours été très discrète, en même temps vous êtes spontanée, parlez volontiers de politique, dîtes que vous avez voté pour Emmanuel Macron...
Oui enfin, maintenant, avec les réseaux sociaux, ça m'est plus difficile.
Mes avis ne sont pas autorisés!
Emmanuel Macron, je pense qu'il faut lui faire confiance. Il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord mais, je crois qu'il faut laisser le temps.
Au moins, il n'est pas englué dans des idéologies politiques et il est dans les réalités du monde actuel.
"J'ai été très affectée pour Johnny, On ne pouvait que l'aimer"
Qu'est-ce qui vous fait réagir, vous, dans le monde actuel?
Ce qui m'agace, et c'est malheureusement valable pour moi, c'est que les gens passent leur temps à juger sans avoir les données, sans rien savoir.
C'est insupportable.
Dans l'actualité dernièrement, le décès de Johnny Hallyday a pris beaucoup de place. Et vous, comment l'avez-vous vécu?
Quand Serge (Gainsbourg) est décédé, je me suis dit: "il emporte notre jeunesse".
Là, on est de la même génération, alors on se dit qu'on est peut-être le prochain sur la liste.
J'ai été très affectée pour Johnny.
On ne pouvait que l'aimer.
Je comprends vraiment qu'il y ait eu des millions de gens touchés.
Il y a longtemps, il m'avait dit que ça ne lui plaisait pas que j'apprécie David Bowie plus que lui! [Rires]
Mais j'ai pu lui dire, enfin: "les meilleurs spectacles que j'ai vus de ma vie, c'est pas Bowie, c'est toi"!
Pour Jaques aussi, ça a été dur, sur la tournée des Vieilles Canailles, avec Eddy (Mitchell), ils ont vu leur ami souffrir.
C'est là qu'on se dit: "quel courage"!
Sur les histoires d'héritage, j'ai certaines données mais, justement, je me garderais bien de dire quoi que ce soit.
j'ai simplement beaucoup de compassion.
Personne d'autre. Françoise Hardy.
(Parlophone/ Warner Music)