[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]"L'amour fou", ou les vertiges de l’amour
Marie-Anne Georges
Mis en ligne le 30/11/2012
Romantiquissime à souhait, “L’amour fou”, 27e album de Françoise Hardy, contient dix sublimes morceaux, où soupire son cœur d’être habité par tant de tourments.
Il paraît que Françoise Hardy va mal - depuis presque dix ans, elle est atteinte d’un lymphome qui, de jour en jour, la diminue physiquement. Artistiquement parlant, elle est en pleine forme. En cet automne 2012, une saison au diapason de son humeur même si elle déclare préférer le printemps, l’artiste publie deux œuvres, un disque et un roman, qui portent le même titre, "L’amour fou".
A 68 ans - son beau physique longiligne lui en fait paraître bien moins -, Madame Hardy sort son 27e album. A nos yeux, il s’agit de son plus bel opus, et si des esprits chagrins devaient émettre quelque réserve, on le qualifierait de toute manière d’un de ses plus beaux albums, romantiquissime à souhait.
"L’amour fou", d’une durée d’à peine 35 minutes, comporte dix chansons dont les titres sont des plus évocateurs, "L’amour fou" donc, "Mal au cœur", "Pourquoi vous ?" ou "L’enfer et le paradis", pour ne citer que ceux-là. "L’amour fou" et ses parties parlées rappellent "Message personnel", mais aussi "Puisque vous partez en voyage", une chanson de Jean Nohain sur une musique de Mireille que Françoise interprétait avec Jacques, son Dutronc de mari, sur "Clair-obscur" (2000). Pas de duo sur ce nouvel opus, mais une présence, en filigrane, de l’être cher. Si l’on ne connaît pas l’état exact de leur relation actuelle, difficile, impossible même, de ne pas sentir planer l’ombre de cet homme (avec qui elle a un fils, Thomas) au détour des phrases, entre les lettres. Depuis "Tous les garçons et les filles", cette femme qui a la mélancolie chevillée au cœur, chante les amours impossibles, les relations aussi passionnées qu’autodestructrices, de celles qui font perdre la raison. Outre Dutronc, il y a certainement d’autres ombres qui hantent ces deux œuvres dont Françoise Hardy, seule, connaît l’identité.
Elle puise aussi son inspiration dans les faits divers. Sur "Les fous de Bassan", elle chante le destin tragique d’une jeune fille partie se promener le long de la mer pour ne jamais en revenir. Celle qui qualifie son écriture de précise, y a un style suffisamment vague - les couplets étant ici construits en forme interrogative -, que pour ne pas confiner le propos mais l’universaliser. Plus loin, sur "Soie et fourrures", qui évoque-t-elle quand elle chante : "nul n’a idée des mensonges/des impostures qui la rongent/derrière/les apparences/tant de souffrance/qu’elle doit taire...", si ce n’est une femme au regard d’un bleu vertigineux dont le mari fut au centre d’un long feuilleton médiatique qui prit place l’été 2011.
Auteur de tous les titres, à l’exception de deux, Françoise Hardy nous prend au piège quand elle interprète "Si vous n’avez rien à me dire". Elle est allée en puiser le texte chez... Victor Hugo. (Déplorons, simplement, une mauvaise transcription sur le livret.)
Tout le monde s’accorde pour relever que Françoise Hardy n’a jamais aussi bien chanté. Serait-elle comme le bon vin (elle préfère le Bordeaux au Bourgogne) et bonifierait-elle avec les ans ? "Quand je pense/Je pense à vous/Quand je chante/Je chante pour vous" : insistant sur chaque mot, presque au ralenti, elle prend le temps, sur "L’enfer et le paradis", de poser son chant élongé avant de continuer par "toute une vie dans le silence/de mes dilemmes, de vos absences/Toute une vie/de petites morts, de renaissances" : quelques mots, quelques rimes, tout est dit.
Comme elle ne manque jamais de le rappeler, Françoise Hardy écrit ses chansons à partir de mélodies que lui font parvenir des compositeurs. Que soient donc remerciés les artistes inspirés que sont ici Calogero et Thierry Stremler (déjà présents sur "La pluie sans parapluie") ainsi que Julien Doré, Alain Lanty ou Benoît Carré (Lilicub) qui lui ont concocté des musiques au diapason de sa personnalité, habitée qu’elle est par la mélancolie et la nostalgie. L’on s’étonne par ailleurs qu’autant de contributeurs aient pu donner une telle homogénéité mélodique.
D’une facture plus proche du classique que de la pop, "L’amour fou" donne la part belle au piano. Ce qui fait dire aux spécialistes, citant Debussy et Ravel, que l’on trouve là le meilleur de l’esprit français: retenue, intensité, subtilité. Mais l’on croise aussi Chopin ou Schubert...
L’ultime morceau possède des atours plus enlevés, où les guitares se font plus manifestes, Françoise Hardy y donne "Rendez-vous plus tard, dans une autre vie/ailleurs ou ici/pour nous aimer mieux et plus qu’aujourd’hui/ce n’est qu’un sursis". Son appel sera-t-il entendu ?
"L’amour fou", un CD EMI