En 1968,l'écrivain français,PAUL GUTH a écrit à propos de Françoise Hardy:
Ma chère Françoise,
Les femmes du capricorne sont belles,bien faites et deviennent généralement très âgées.Elles sont coquettes,légères,capricieuses,sensibles aux hommages,affectueuses .Très timides dans leur jeunesse,elles sont plus tard orgueilleuses,hardies,intrigantes,sachant conduire leur barque avec adresse.Dans le mariage elles seront jalouses,mais s'efforceront de le cacher.
Voilà ce que tu es,Françoise.Parmi toutes les idoles féminines auxquelles j'écris ces lettres,tu es la seule qui m'intrigue.Quel que soit leur talent ou leur charme,les autres me paraissent assez simples,pour ne pas dire simplettes.Une des premières,tu montras tes cuisses,en des mini-jupes qui,au début,nous coupaient le souffle.Pourtant tu n'as, en fait,rien montré du tout.Toute nue,tu n'en montrerais pas plus.Tu resteras toujours enveloppée du mystère de la femme comme de tes inextricables cheveux.Avec ta toison pleureuse,tu es l'Eve issue de la mer:la première femelle humaine qui s'est tenue debout sur ses pattes de derrière.Tes jambes illimitées gardent encore quelque chose de la queue des sir
ènes(...).Sur les scènes où tu t'exhibes,cette leçon d'anatomie,à elle seule,vaudrait le voyage.Mais tu as d'autres vertus.Tu as fait des études,ce qui est rare chez tes pareils (...).Chez les idoles,tu es presque Einstein.Quand Zitrone t'interviewe dans le studio que tu as acheté près de la gare Saint-Lazare,son oeil de lynx note,aux murs,des livres innonbrables,tous lus.Et pas des brimborions pour têtes vides,mais Faust de Goethe,les oeuvres complètes de Francis Bacon,une foule de classiques en livres de poche.Tu viens de relire deux mille pages de Proust.Tu trouves que c'est extraordinaire.J'imagine mal Johnny Hallyday dans cet exercice.Tu as toujours voulu composer des chansons,plus que chanter.Tu trouves ta voix banale.Tu as raison.Même celle de Brigitte Bardot l'est moins que la tienne.Elle garde,sous sa plastique,des frottements de langue de petite fille du XVIème que ses parents mènent au guignol.Plus que banale,ta voix est nulle.Ou,si l'on veut,tu as ce frémissement de l'air que produirait aussi bien le froissement d'un journal ou d'une feuille de papier à lettres derière le micro.Tu peux le maintenir collé à ta bouche,celui-là!C'est inouÏ ce qu'il fait pour toi!Il se désosse,se décarcasse pour te plaire.A croire qu'il est amoureux de ta bouche.Il se dilate,se distend,s'exténue pour offrir à ce qui en sort la plus vaste et la plus frémissante surface.Il fait le beau,s'étire,se mue en une muqueuse éperdue.Dans leur mythologie,les Anciens en auraient fait un génie de l'air,fou de toi (...).Tu as beaucoup de bons côtés.Tu ne te prends pas pour une idole.Tu trouves idiot que des fans s'écrasent pour te demander des autographes (...).Le tiers de la population française avait moins de vingt ans.On le gavait d'idoles,de copains,de yé-yé,de twist,de folksong,de rock-n'-roll,de rythm and blue,de jerk,de trémulations du bassin (...).Enfin,Françoise vint! Comme chanterait un Boileau d'aujourd'hui.Calmement,mélancoliquement,brumeusement,tu es venue du fond du passé français des vieilles chansons pour jeunes filles.Gauchement,estudiantinement,avec une voix de propédeutique,encore enrouée de mue,encore embrouillée de récitations de leçons,d'explications de textes,de réponses,debout (...).Tu nous a chuchoté la chanson que tu avais écrite,un jour de novembre 62:
"Tous les garçons et les filles de mon âge
se promènent dans la rue deux par deux."
L'attente de l'amour,la nostalgie vague de cette folie que l'on ignore.Des grâces rauques d'adolescente poussée trop vite (...).
J'étais seul ,un soir,dans un café du Paris populaire.Loin du Paris des snobs,ou du Paris de l'intelligentzia à têtes de tétards macérant dans le fiel.C'était l'heure de la sortie des ateliers,des bureaux,des magasins.Le juke-box dégorgeait ta chanson:
"Tous les garçons et les filles de mon âge
Se promènent dans la rue deux par deux."
Ils étaient tous là derrière leur café crème,s'identifiant à tes héros,les secrétaires,dactylos,vendeurs,vendeuses,employés,effectuant,la main dans la main,les yeux dans les yeux,ce voyage immobile qui mène plus loin que tous les exploits des cosmonautes (...).
Pour jouer à la fille dans le vent,tu arbores une panoplie de choc:un smoking de YSL,un ensemble en cuir noir,pantalon et gilet,que tu as dessiné toi-même et que pare une chemise de dentelle.Tu oses un deux-pièces,pantalon et blouson,couleur argent,truffé de bottes assorties,qui te fait frissonner d'inquiétude:shocking.Tu portes ton habit blanc de Courrèges,ton armure à toi,la spongieuse.Il y a aussi la kyrielle des sempiternelles mini-jupes:la rayée,celle en cuir,celle à chevrons,celle du soir,en lamé,au festival de Venise,qui faisait haleter les Italiens.Ton élégance est si neuve que les grands couturiers ne trouveront jamais un mannequin pareil.Où dénicher des jambes comme les tiennes,pattes de pouliche,effleurant à peine l'herbe,pattes d'ibis piqué sur son rêve?Et ta démarche?C'est surtout elle qui restera de toi quand tu ne seras plus là pour marcher.Ta démarche au long balancement houleux.Démarche de la femme qui se promène le long des magasins,en allumant tous les feus.Démarche urbaine des soirs,faites pour l'asphalte et les bijoux.Démarche citadine;longuement frôleuse,excitant les vieux "marcheurs" de la longue marche du désir,périmée aujourd'hui dans sa candeur de chasse à courre,au profit du dragage motorisé et des viols des gangs des lâches (...).Tu sais marcher.tu marches ta vie.Tu déambules d'une langueur à un nuage.Si j'étais Vadim,ou l'un de tes cinéastes,je ferais un film où tu marcherais sans arrêt,dans l'infini réseau des canaux des rues,qui fait ressembler toute ville à Venise.Tu marcherais dans Paris du soir au matin.Tu marcherais,en murmurant tes chansons,dans la pluie,où tu ressemblerais à une algue,sous le soleil revenu,toujours inquiet,comme toi.Tu marcherais en te souvenant;en imaginant,en espérant,en pleurant.Tes cinéastes devraient te faire pleurer.Les larmes couleraient au versant de tes pommettes et sur les méplats de tes joues.La passante de Baudelaire,c'est toi!(......)
Ai-je ainsi l'impression de te mieux connaître? jamais de la vie!D'ailleurs,je ne le souhaite pas.Je préfère te voir marcher majestueusment le long des mers qui bordent ces empires.
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