Critique du nouvel Obs. :
Egérie des sixties, Françoise Hardy, figure incontournable de la chanson française depuis 40 ans, revient sur son parcours professionnel et personnel.
Fin 2008, Françoise Hardy a publié «Le Désespoir des singes... et autres bagatelles», chez Robert Laffont, un livre dans lequel elle revient sur sa longue et riche carrière. Symbole de tout une génération, avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan ou encore les Rolling Stones, elle évoque ses grandes rencontres : Serge Gainsbourg, Emmanuel Berl, Salvador Dalí, Michel Berger, Patrick Modiano, France Gall, Benjamin Biolay, Hélène Grimaud et Michel Houellebecq, sans oublier le photographe Jean-Marie Périer, qui fut son compagnon, ou son mari Jacques Dutronc. En compagnie de Charlotte Rampling, d'Etienne Daho et de son fils Thomas Dutronc, elle revient sur les grandes étapes de son parcours.
Plume-gris
La critique
Silhouette longiligne, regard gris, cheveux poivre et sel, manteau noir mi-long, Françoise Hardy revient sur ses pas. La chanteuse, qui a connu, en 2008, un beau succès de librairie avec son autobiographie (« le Désespoir des singes et autres bagatelles », chez Robert Laffont), revient, dans ce documentaire de Daniel Schick, sur son parcours. « Des choses de la vie », c'est son titre, laisse apparaître une personnalité éclatante de sincérité.
« Tous mes souvenirs me tuent », chantait-elle il y a peu. Parmi eux, ceux d'Aulnay-sous-Bois. La mine contrariée, anxieuse, Françoise Hardy marche à la recherche de la maison où, enfant puis adolescente, elle a passé nombre de ses week-ends à s'ennuyer et à subir les humiliations de sa grand-mère maternelle. On croit entendre Barbara concluant, après un retour douloureux dans le village de son enfance : « Parmi tous les souvenirs/ Ceux de l'enfance sont les pires. » L'autre longue dame de la chanson s'approche donc de cette demeure où sa mère adorée (qui a élevé seule ses deux filles) la laissait très souvent en fin de semaine : « Ma problématique affective, qui est une problématique masochiste, difficile, qui fait qu'on ne se sent jamais à la hauteur, absolument pas aimable, est née ici [...] Et cette problématique a évidemment inspiré toutes mes chansons. » Voilà comment on rejoint les nombreuses victimes du complexe de l'imposture.
Ce complexe est le fil rouge de son existence - son drame et son moteur aussi. Par lui tout s'explique, tout se comprend. Ecoutez-la parler d'elle-même : « Mon succès était injustifié et injustifiable », « J'ai quelques perles à mon actif, mais je suis la seule à les connaître », etc. Elle reste imperméable à la flatterie. Mais les images qui défilent prouvent que son aura gagne les pays voisins. Elle est la muse des couturiers avant-gardistes, ses chansons sont élégantes et populaires, ses duos, mémorables (de Patrick Dewaere à Alain Bashung), et ses rencontres, passionnantes : Brassens, Gainsbourg, Berger, Jagger et d'autres.
Le complexe explique aussi son histoire d'amour atypique avec Jacques Dutronc. S'ils semblent être passés à côté l'un de l'autre, ils n'ont jamais cessé de vivre côte à côte. Bien sûr qu'il l'aime, il le dit d'ailleurs dans ce documentaire. Et d'ajouter dans un murmure de grand pudique : « La seule bonne direction que nous ayons prise, c'est Thomas. C'est le seul truc bien que j'ai fait avec elle : notre meilleur duo, notre meilleure composition. »
Dans un éclat de rire, Thomas Dutronc lâche : « Je suis un rescapé de la folie furieuse de mes parents. » Il est là, à tenter de parler de sa mère en présence de celle-ci pour les besoins du documentaire. Pas facile. Malgré la présence intimidante de la caméra, on sent la complicité authentique et la simplicité du rapport mère/fils sur fond d'admiration réciproque. Lui pour tout ce qu'elle est ; elle pour ce guitariste virtuose.
La naissance de Thomas, c'est l'occasion d'un autre retour sur un lieu important de la vie de Françoise Hardy : le 10, rue Saint-Louis-en-l'Ile, avec ces souvenirs mitigés. La joie, certes, de porter cet enfant tant désiré. La tristesse, aussi, de le porter seule. Jacques Dutronc, son « futur veuf », son « petit mari » ou « futur ex-mari », comme elle le surnomme, est si souvent absent ! Elle parle de sa « solitude subie » d'alors, contrairement à la « solitude choisie » qui est la sienne aujourd'hui. Où est encore passé Jacques tandis qu'elle veille sur leur fils ? La jalousie a souvent gâché le quotidien de Françoise Hardy, comme cet été où celui qu'elle aimait donnait la réplique à Charlotte Rampling sur un tournage. Tout un été à se morfondre, à imaginer le pire. Car, à ses yeux, Charlotte Rampling incarne l'idéal féminin. Quel homme saurait lui résister ? Sur le quai de l'île Saint-Louis, tandis que la caméra continue de tourner, Daniel Schick organise la rencontre entre les deux femmes. Ce n'est pas évident de faire connaissance dans ces conditions, elles n'y parviennent pas vraiment d'ailleurs. Il en reste quelques sourires de circonstance et cette réflexion perspicace de Charlotte Rampling : « Vous êtes dure avec vous-même ! »
Le documentaire touche à sa fin. Rendez-vous avec Françoise Hardy dans un troisième lieu important de sa vie, le parc de Bagatelle, qu'elle traverse régulièrement en solitaire. Plus le temps passe et plus elle se rapproche de la nature. Elle est propice à l'apaisement, à la méditation, à l'inspiration. Ici, à Bagatelle, elle prend des nouvelles des paons et demande aux arbres de lui donner un peu de force, « s'ils en ont le pouvoir ». Parmi eux, le désespoir des singes.
Sophie Delassein
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Combien de ruses il fallut pour conserver l'ivresse,
Combien de temps il faudrait pour garder sa jeunesse...